LA CONFORMITE DES ENTREPRISES LA FINALITE ETHIQUE DES NORMES
L’éthique économique, l’éthique des affaires sont des sujets inscrits depuis longtemps dans les préoccupations et les programmes des établissements de l’Université catholique de Lille. Et les entreprises des Hauts-de-France se sont aussi mobilisées, depuis des années, pour améliorer leur impact social et environnemental, en agissant au sein du réseau Alliances et du Wolrd Forum for a Responsible Economy.
La chaire « Ethique des affaires : Compliance, ESG & Sustainability Reporting », portée par la Faculté de Droit (C3RD) et la Faculté de gestion, économie et sciences FGES, a été créée en juin 2023. Andra Cotiga, Professeur de droit privé, membre du C3RD, dirige la chaire, en collaboration avec Eleonora Veglianti, Maître de conférences en économie à la FGES et membre du laboratoire LITL. Elles sont accompagnées dans cette mission par un comité d’orientation et deux doctorantes, Cassandre Degrande (C3RD) et Nathalie Lucas (C3RD & LITL).
Huit questions à Andra Cotiga :
- Pourquoi avoir créé cette chaire de recherche ?
L’émergence de la chaire en tant que projet de recherche prioritaire a été motivée par la demande de formation et de réflexion académique, exprimée notamment par les entreprises, en matière de compliance (conformité).
Pour y répondre, dans un premier temps, la Faculté de droit a proposé depuis septembre 2021 le Diplôme Universitaire « Compliance internationale et éthique des affaires ». Ouvert aux professionnels, ce programme attractif forme 25 participants par an, sur une base très sélective. A ce jour, 100 auditeurs professionnels ont été diplômés de ce parcours, juristes et non-juristes. L’intérêt exprimé pour ce DU par un nombre important d’acteurs économiques et institutionnels a témoigné de l’enjeu majeur que constitue la conformité et a renforcé le projet de création de cette chaire.
- Quel est le contenu et l’impact des normes de conformité imposées aux entreprises ?
L’impact des normes de conformité sur les activités des entreprises est multiple. Citons la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ; la lutte contre la corruption, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; les sanctions internationales : embargo, interdiction de faire du commerce avec certains pays et certaines personnes ; ainsi que la protection des données personnelles et la cybersécurité.
- Qu’est ce qui explique que la conformité soit devenue un enjeu normatif majeur ?
Initialement, la conformité représentait un mécanisme de management des risques utilisé par les entreprises de manière volontaire. Il s’agissait d’une approche préventive par excellence.
Actuellement, la conformité est privilégiée comme un mode de régulation obligatoire des comportements des entreprises, par les législateurs nationaux et régionaux (dont l’UE). Dans ce cadre, la non-conformité est sanctionnée notamment financièrement. Et des peines plus lourdes et dissuasives sont envisagées. Jusqu’à par exemple des peines d’emprisonnement possibles en cas de violation de la législation américaine de lutte anticorruption.
- Quel est l’objectif principal de la chaire ?
C’est de contribuer à une meilleure compréhension, et donc une bonne application, de la réglementation actuelle par l’ensemble des parties prenantes.
Les normes de conformité sont nombreuses et peuvent être perçues par les entreprises comme invasives, parfois même anti-compétitives et donc réductrices de leur performance économique. Simultanément, la société civile estime que les acteurs économiques ne sont pas suffisamment responsables de l’impact de leurs activités sur l’ensemble des parties prenantes. Dans cette perspective, des nouvelles règles de conformité, de compliance, apparaissent indispensables.
Notre chaire constitue un espace de réflexion dans lequel les entreprises et les parties prenantes peuvent s’exprimer et puiser des arguments tirés des recherches les plus pertinentes, des jurisprudences et réglementations nationales et internationales.
Pour étudier ces questions et apporter aux entreprises et aux pouvoirs publics des réponses approfondies, la chaire déploie la double compétence droit / économie ainsi que la double expertise recherche académique / conseil et formation.
- Les entreprises mesurent-elles bien les risques qu’elle prennent vis-à-vis du climat, de l’environnement, de la société ?
Notre démarche scientifique accorde forcément une place prépondérante à l’analyse des risques. Le risque est une notion connue des entreprises et le management des risques leur permet, en principe, de mesurer les incidences négatives pesant sur elles. Cependant, la notion de risque pour les parties faibles (stakeholders) a gagné en importance ces dernières années. Il s’agit des risques vis-à-vis des droits de l’homme, de l’environnement et du changement climatique. Et les normes de conformité constituent actuellement une manière de contraindre les entreprises à prendre en considération ces risques, afin de les prévenir, en atténuer l’impact.
- Vous travaillez cette année sur deux thèmes : le devoir de vigilance et le reporting extra-financier de durabilité, imposés aux entreprises. De quoi s’agit-il ?
Nous avons en effet sélectionné pour cette année, deux aspects normatifs de l’axe conformité RSE, à savoir le devoir de vigilance et le reporting extra-financier.
Nous avons organisé les 23 et 24 novembre 2023 un premier colloque international « Les entreprises à l’épreuve du devoir de vigilance ». Cet événement a été suivi, le 23 février 2024, par une deuxième conférence intitulée « Les entreprises à l’épreuve du reporting de durabilité ». Les contributions présentées feront l’objet d’une publication prochaine, sous la forme d’un ouvrage collectif (Handbook), par le prestigieux éditeur britannique Taylor & Francis, sous la direction d’Andra Cotiga, Eleonora Veglianti, Elif Harkonen, Charles Cho.
Le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité («Corporate Sustainability Due Diligence ») a été proposé, d’abord par les Nations Unies et l’OCDE, comme mécanisme à travers lequel les entreprises peuvent prévenir, réduire, voire supprimer les risques (ou les incidences négatives), résultant de leurs activités, vis-à-vis des droits de l’homme et de l’environnement. Dans cette perspective, des pays européens, dont la France dès 2017, et non européens également, ont déjà entériné dans leurs législations nationales un devoir de vigilance des entreprises (« Due Diligence »), alors que la proposition de directive européenne sur ce sujet n’est qu’en phase de négociation en vue de son adoption prochaine.
Force est de constater non seulement la multiplicité des sources normatives du devoir de vigilance des entreprises mais également désormais la coexistence de différents devoirs de vigilance ou mécanismes équivalents auxquels les entreprises devront se conformer si elles relèvent du champ d’application des premières. La conférence de novembre 2023 s’est proposé une mise en perspective approfondie des devoirs de vigilance (ou équivalent) coexistant au niveau européen et international, en identifiant leur statut (volontaire ou obligatoire), leur champ d’application (critère d’application essentiellement) et leur contenu (les obligations des entreprises, sanctions et responsabilité).
- La France semble être pionnière concernant les obligations, faites aux entreprises, du reporting de l’information de durabilité ?
La directive européenne de 2022 concernant la publication, par les entreprises, d’informations en matière de durabilité (dite CSRD – « Corporate Sustainability Reporting Directive ») a été transposée en droit français par l’ordonnance du 6 décembre 2023. La France est le seul Etat membre de l’UE à avoir transposé, à ce jour, cette directive.
Celle-ci prévoit des dispositions relatives à la publication d’informations en matière de durabilité et à la certification de ces informations en matière de durabilité.
Notre deuxième conférence du 23 février 2024 a eu pour finalité de répondre aux besoins en formation des professionnels confrontés aux exigences européennes. Les travaux ont approfondi notamment les aspects suivants :
– L’identification des entreprises concernées par ces obligations.
– La mise en conformité avec les standards européens.
– La certification de l’information de durabilité.
– L’interopérabilité des standards européens avec ceux adoptés au niveau mondial ; USA, Inde, Royaume Uni.
– L’utilisation des données par les institutions financières et l’impact sur les stratégies d’investissement, les produits financiers, l’engagement actionnarial.
- Quels développements des activités de la chaire envisagez-vous pour ces années 2024 et 2025 ?
Tout d’abord un renforcement de nos capacités de recherche. Grâce au soutien de la Fondation de la Catho de Lille, deux étudiantes préparent leur thèse de doctorat. Cassandre Degrande sur l’étude comparée des normes françaises, européennes et internationales imposées aux entreprises en matière d’impact sur les droits de l’homme, l’environnement et les changements climatiques. Nathalie LUCAS sur l’interopérabilité des normes ESRS avec les principales normes internationales de reporting extra-financier.
Nous allons également participer à un programme européen ERASMUS + aux cotés des Universités de Gand, Dublin, Breda, Bologne. Ce programme, « INTEGRES », vise à développer du matériel pédagogique, pour les étudiants en management et comptabilité, sur le reporting intégré et la publication d’informations non financières.
Et il faudra certainement nous mobiliser pour répondre à l’intérêt grandissant des étudiants et des futurs professionnels sur ce sujet essentiel qu’est l’impact de nos activités économiques sur la société et la planète.
Propos recueillis par Francis Deplancke