Marion Hendrickx a toujours voulu être médecin. Au cours de ses études à la faculté de médecine de Paris-Cochin, elle découvre la psychiatrie dans un service qui accueille des personnes anxio-dépressives.

En 2005 elle fait un stage d’ internat dans le service du Prof. Vincent DODIN à l’hôpital Saint-Philibert à Lille (GHICL), qui prend en charge, en particulier, les troubles du comportement alimentaire liés à l’anorexie mentale chez les jeunes.

Petit traité d’horreur fantastique

Le Prof. Pierre Delion, pédopsychiatre et psychanalyste au CHU de Lille, lui propose de transformer sa thèse de médecine en « un manuscrit pour un livre, tant les idées qu’elle défend peuvent avoir un grand intérêt pour les praticiens de l’adolescence ».

C’est ainsi qu’est publié, en 2012, le Petit traité d’horreur fantastique à l’usage des adultes qui soignent les ados. Le vampire, le loup-garou, la créature de Frankenstein y sont convoqués pour aider les adolescents à affronter les angoisses issues de leur modification pubertaire et de leur toute nouvelle autonomie.

« Car l’adolescence est terrifiante en soi, explique Marion Hendrickx. Les repères construits dans l’enfance vacillent et ce n’est pas facile de se séparer de ses parents pour aller explorer le monde ».

« Pourquoi y a-t-il un monstre sous le lit ?   p. 75 du Petit traité d’horreur fantastique »

Elle propose donc aux adultes, qui prennent soin des adolescents ou les accompagnent, de considérer l’horreur fantastique comme un organisateur psychique, un espace culturel privilégié à explorer avec eux, un reflet de leur monde interne en pleine mutation.

La psychiatrie, spécialité de l’incertitude

Depuis 20 ans, Marion Hendrix poursuit son travail de soignant comme chef de clinique puis praticien hospitalier dans le Service de psychiatrie adultes à l’hôpital Saint-Philibert. C’est l’un des deux services de niveau 3 de la région qui peut prendre en charge des troubles du comportement alimentaire chez l’adolescent et l’adulte.

Au fil des années, Marion Hendrix constate que « décidément, la psychanalyse n’est pas une spécialité de médecine comme les autres. Si, comme dans toute discipline médicale, nous devons nous appuyer sur le plus haut niveau de preuve scientifique et sur la qualité de la relation humaine avec le patient, je constate, avec beaucoup de confrères, que la psychiatrie est en fait une spécialité de l’incertitude.

 Le soin psychiatrique relève autant de soins standardisés que du « bricolage » issu de notre savoir-faire et de notre expérience » affirme Marion Hendrickx.

Des ateliers-contes à l’hôpital

Exemple de ce savoir-faire spécifique : les expériences de médiation par le conte qu’elle organise avec ses collègues pour accompagner les jeunes souffrant d’anorexie. Il s’agit d’ateliers-contes auxquels participent les soignants et les patients, par groupe de 8 à 12 sur un cycle de quatre séances.

« Tout le monde participe à jeu égal pour partager les émotions, les interrogations, les projections. Cela permet de mettre à distance le ressenti d’infantilisation que peut induire l’acte du soignant envers le soigné » précise Marion Hendrickx

Lors de la première séance, une infirmière-conteuse fait passer un conte issu de la tradition orale : conte de GRIMM, conte Inuit, conte Juif…à un groupe de patients rassemblés dans une salle dédiée. Après le récit vient un temps de silence et d’immersion dans la fiction.

Coconstruire un nouveau conte

Les participants sont ensuite invités à imaginer la suite du conte et à confectionner des masques correspondant aux personnages auxquels ils peuvent s’identifier et qu’ils mettent en scène à la séance suivante. Chacun porte alors son masque exprimant la colère, la frustration, la peur ou toute autre émotion.

La dernière séance consiste à coconstruire ensemble un nouveau conte, en utilisant des cartes piochées au hasard. Pour notre médecin, « c’est sans doute le moment le plus difficile pour les jeunes patients : comment inventer et raconter une histoire alors qu’ils considèrent leur vie comme une impasse ? »

Petit à petit, Marion Hendrix a éprouvé la nécessité d’observer, avec le regard du sociologue, le déroulement et l’animation de ces ateliers-contes : comment fonctionnent-ils ? Quels sens leur donnent les soignants et les patients ?

Ce qui l’a conduite à soutenir, en 2023, une thèse de doctorat en sociologie à l’Université Libre de Bruxelles, intitulée L’enchantement à l’hôpital ? Etude de cas sociologique d’un atelier psychothérapeutique à médiation contes.

La théorie de l’enchantement

« Nos expériences, dit-elle, font appel à la théorie de l’enchantement souvent employée dans le monde du tourisme et le monde du spectacle. Comment les individus acceptent-ils, à certains moments, de suspendre leur rationalité, de vivre une expérience hors du commun, de construire un récit qui ne peut se vivre que dans le collectif ?».

Quels premiers bilans tirer de cette expérience ? Pour Marion Hendrickx « les soignants trouvent plus de sens à leur pratique, se sentent véritablement acteurs et coconstruisent avec les patients une autre relation, bien différente de celle de la surveillance.

Les patients, de leur côté, regagnent de la confiance en soi, de l’estime de soi. Ils vivent une autre relation avec le soignant qu’ils ne considèrent plus comme contraignant ou tout puissant. Grâce au conte – mais c’est le cas pour de multiples médiations – l’illusion peut se déployer sans être mortifère puisque partagée ».

L’explosion des troubles psychiatriques chez les jeunes

Interrogée plus largement sur l’évolution des maladies psychiatriques et leur prise en charge, notre médecin constate une véritable explosion des troubles psychiatriques chez les jeunes. Pour quelles raisons ?

« Il y a sans doute les effets à long terme de l’altération de notre environnement et de leur  impact sur la santé..

La pandémie COVID a, par ailleurs, empêché les jeunes de créer et rejoindre les groupes de camarades qui les accompagnent habituellement vers la vie d’adulte.

« Un monde où on ne lit plus, où on ne raconte plus »

Ajoutons à cela l’éco-anxiété, les guerres si proches : les jeunes sont confrontés à un monde qui semble se finir. Un monde dur où la fiction qui enchante est en péril. Un monde où on ne lit plus, où on ne raconte plus ».

Du côté du personnel soignant, on constate assez régulièrement des défections, des abandons du métier tellement l’exercice est rude. Pour Marion Hendrickx « il faut former davantage de médecins psychiatres, d’infirmiers psychiatriques. Et surtout il est nécessaire de mieux les accompagner, les compagnonner dans l’exercice de leur mission ».

Propos recueillis par Francis DEPLANCKE

Admin Recherche UnivCathoLille

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