L’axe de recherche du laboratoire dirigée par Alina Ghinet ? La préservation des atomes. On comprend très vite ce que la professeure-associée du Département Santé et Environnement de JUNIA, responsable du Laboratoire de chimie durable et santé veut dire lorsqu’elle déploie sous nos yeux la nouvelle carte des 90 éléments naturels, conçue par la Société Européenne de Chimie.
« Vous voyez les 90 éléments ? Plus de la moitié d’entre eux sont sous tension et présentent de grands risques d’approvisionnement dans les années à venir.
Sachant, par exemple, que 30 d’entre eux entrent dans la fabrication des smartphones, vous comprenez tout l’enjeu de la chimie verte et durable : créer des molécules éco-responsables à partir des éléments encore disponibles et de différents types de gisements que sont l’extraction minière, la valorisation des déchets, la substitution des atomes » explique Alina Ghinet.
Pas d’autres choix que de faire de la chimie verte
« On a plus vraiment d’autres choix que de faire de la chimie verte ! » s’amuse-t-elle. Un défi qu’elle relève chaque jour avec enthousiasme, pour une chimie plus respectueuse de l’environnement. « Les limites planétaires et les contraintes nous obligent à la créativité et la nature nous inspire à travers le bio-mimétisme ! ».
Depuis la définition, en 1991, des « Douze principes de la chimie verte », cette dernière n’a progressé que poussivement puisqu’elle ne représente encore, 33 ans plus tard, que 11% de la production chimique mondiale.
Les douze principes de la chimie verte
La prévention de la pollution en évitant la production de déchets
L’économie d’atomes et d’étapes de synthèse
La conception de méthodes de synthèse moins dangereuses
La conception de produits chimiques moins toxiques
La réduction de solvants polluants
La limitation des dépenses énergétiques
L’utilisation de ressources renouvelables
La réduction du nombre de dérivés
L’utilisation de procédés catalytiques
La conception de produits non persistants afin de minimiser l’incidence sur l’environnement
La mise au point de méthodes d’analyse en temps réel en vue de prévenir la pollution
Une chimie fondamentalement plus fiable pour prévenir les accidents
Mais elle peut s’accélérer très vite avec la prise de conscience, de plus en plus vive, des étudiants, enseignants, chercheurs qui décident de s’engager dans la transition écologique en tant que chimistes et citoyens.
JUNIA à la pointe de la chimie durable et médicinale
Alina Ghinet et son équipe se sont installées en mai 2024 dans le nouveau Laboratoire de Chimie Durable et de Santé (Drug Discovery Group, UMR 1167), rue Colson à Lille, un laboratoire unique dans les Hauts-de-France privilégiant les circuits courts d’approvisionnement et les partenariats avec les entreprises locales.
Un espace de 415 m2 avec un show-room de présentation des travaux ; 18 sorbonnes chimiques ; une chimiothèque de plus de 4 000 molécules, dédiée à la recherche en santé humaine (médicale et cosmétique), végétale (agriculture) et environnementale (qualité de l’air, de l’eau…).
Un bel outil (inauguré le 13 juin 2024 Journée de la Recherche de la Catho), au service d’une équipe de choc : trois enseignants-chercheurs, trois doctorants, un post-doc, un technicien et un stagiaire. Ce laboratoire contribue chaque jour au changement de paradigme dans les pratiques de la chimie, avec la conception, la synthèse et la caractérisation de nouvelles molécules, principalement biosourcées.
Notre production et notre consommation 100 % responsables
Outre l’utilisation de ressources renouvelables, « notre laboratoire réalise ses synthèses par ultrasons, utilise des échangeurs de chaleur pour récupérer la chaleur produite par les sorbonnes pour le chauffage du laboratoire, solubilise ses éléments par procédé mécano-chimique d’agitation par billes (au lieu de l’utilisation de solvants chimiques qui finissent en déchets), fait de la chimie en flux continu, installe un circuit fermé de 1 400 litres d’eau pour procéder aux expériences. Nous respectons ainsi les douze principes avec 100% de notre consommation et de notre production responsables », se félicite Alina Ghinet.
Une chimie qui prend en compte l’analyse de cycle de vie réel des molécules pour mesurer l’impact des processus et des produits de la chimie sur l’environnement et la santé, ainsi que l’évaluation des molécules de la chimie médicinale par les paramètres ADME-T – Absorption, Distribution, Métabolisme, Excrétion et Toxicité – et l’évaluation des risques d’effet cocktail entre molécules.
On comprend mieux le temps long de l’adaptation de la pétrochimie vers une chimie verte et durable, fabriquant des molécules de synthèse et hémisynthèse (mi organique, mi synthèse) éco-responsables, et qui reste encore coûteuse en équipements adaptés.
La chimiothèque singulière de JUNIA
Fait unique pour une école d’ingénieurs en France, le laboratoire dispose d’une base d’échantillons en poudre de 4 060 molécules numérotées et accessibles en interne. Elle permet un criblage rapide pour accélérer la découverte de candidats médicaments.
« Nous avons récemment envoyé quelque 2 500 molécules en accès limité à l’Université de Brest dans le cadre de leurs recherches sur les maladies à prions ». D’autres partenariats sont également développés avec OncoLille sur les maladies génétiques rares ; avec l’Université de Queensland en Australie, pour des tests sur bactéries et champignons résistants aux thérapies existantes ; avec le National Cancer Institute aux USA, pour des tests cytotoxiques.
Des projets très prometteurs sur la paillasse
Si la chimiothèque est un fabuleux réservoir de molécules prêtes à l’emploi et au ré-emploi, « des briques de Lego qui boostent notre créativité ! » note Alina Ghinet, l’outil de Résonance Magnétique Nucléaire est l’outil essentiel du laboratoire pour l’identification et la quantification des molécules éco-responsables.
Grâce à ces équipements et à leur créativité que les chercheurs du laboratoire d’Alina Ghinet ont pu déposer, ces cinq dernières années, trois brevets au niveau mondial et quatre déclarations d’invention, objets des quatre projets en cours sur la paillasse.
Les projets de recherche en cours Vieillir moins vite – projet CML- RAGE (février 2019 à décembre 2025). Un projet de recherche, mené par le Drug Discovery Group U1167, de molécules anti-vieillissement par inhibition de la cascade RAGE (aucune molécule anti-RAGE encore sur le marché). Partenariats : Université de Lille, CHU de Lille, Institut Pasteur de Lille, INSERM. Dépolluer les sols et l’eau avec l’Eco-Catalyseur (décembre 2015-décembre 2024). Une première déclaration d’invention a été déposée pour un écocatalyseur par phyto-épuration douce des sols contaminés avec choix de plantes non accumulatrices. Une seconde déclaration d’invention a été déposée à la Société d’Accélération du Transfert de Technologie – Satt Nord pour la décontamination des eaux (pollution métallique et micropolluants) grâce aux cendres dépolluées des plantes. Partenariats : Florimond Desprez, LGCgE, INSERM. Stimuler le système immunitaire des plantes avec les projets Bioantibio et Bifun (octobre 2016-septembre 2024). Deux déclarations d’invention déposées à la SATT Nord sur des antibactériens et immuno-stimulateurs de plantes. Partenariats : ISA, UTC, ESCOM, Institut Pasteur. Capturer le CO2 et le transformer en produits en haute valeur ajoutée avec RIVER (février 2018-septembre 2024). Capture du dioxyde de carbone des fumées issues de la combustion du fioul lourd des bateaux et transformation du CO2 en produits en haute valeur ajoutée. Financements Interreg NW Europe. Partenariat Air Liquide. |
Le laboratoire de Chimie Durable et Santé d’Alina Ghinet deviendra-t-il le champion du déchet final à recycler en économie circulaire ? Ce serait un formidable atout pour la région la plus polluée de France, avec l’émergence d’une nouvelle génération de chimistes qui créent, réutilisent ou évitent des molécules afin de réparer dommages et erreurs et, in fine, pour préserver les précieux atomes.
Mini-bio d’Alina Ghinet
Franco-Roumaine, Alina Ghinet a entrepris ses études de chimie en Roumanie. A la faveur d’un échange Socrates-Erasmus, elle mène conjointement deux Masters à Lille 2 et en Roumanie entre 2005 et 2007, le premier en « Conception du médicament », le second en « Chimie et biochimie des composés hétérocycliques », tous deux complétés par un Master en design de médicaments en 2008.
Récompensée par le prix L’Oréal-UNESCO « For Women in science » en 2009, elle soutient en 2010 sa thèse de doctorat en chimie médicinale sur « les molécules anti-cancéreuses double cible », et devient en 2012 professeur associée à HEI.
Depuis 2019, elle est chef d’équipe Chimie durable à JUNIA et responsable du Laboratoire Chimie Durable et Santé qu’elle a créé.
Propos recueillis par Lise DOMINGUEZ
Contact : alina.ghinet@junia.com