Baptiste Motte, Médecin généraliste et enseignant-chercheur
Le médecin généraliste et enseignant-chercheur Baptiste Motte reçoit la reconnaissance internationale pour ses travaux sur la problématique de « l’incertitude médicale ». Son propos : former les étudiants à porter un regard différent sur les nouveaux enjeux de leur pratique, dans un contexte de chronicisation des maladies et de complexification de la médecine. Une recherche féconde …
Maître de conférences universitaire au département de médecine générale de la Faculté de Médecine, Maïeutique et Santé (FMMS) de l’Université catholique de Lille,Baptiste Motte s’est interrogé très tôt sur « le décalage important entre le caractère certain et manichéen des savoirs de la formation théorique en médecine et la réalité de la pratique sur le terrain au contact des patients ».
Comprendre et évaluer l’incertitude médicale
Après deux années passées en qualité de Chef de clinique au département de médecine générale de la FMMS, il y devient enseignant-chercheur et s’inscrit en doctorat de pédagogie médicale à l’Université catholique de Louvain (Belgique) pour approfondir, en trois étapes, la problématique qui lui tient à cœur : comprendre et définir l’incertitude médicale ; obtenir un outil validé francophone de mesure de sa tolérance ; puis mettre en place une formation dédiée à l’incertitude et l’évaluer de façon quantitative et qualitative.
« L’identité médicale se forge encore sur la croyance que le bon médecin, c’est celui qui sait », résume-t-il, regrettant que la dimension réflexive – avec la prise de distance et la critique vis à vis des savoirs – ne soit pas suffisamment sollicitée au cours du cursus. « La médecine par la preuve statistique nous a rendus, depuis trente ans et en dépit de ses avancées, intolérants à l’incertitude médicale avec les risques de diagnostics cliniques erronés, de surmédicalisation et d’une dégradation de la qualité de la relation patient – médecin ».
« L’incertitude médicale, c’est être conscient de ne pas tout savoir »
Le clinicien a cherché à comprendre et à définir la notion complexe d’incertitude, à laquelle les médecins sont donc de plus en plus confrontés aujourd’hui et à proposer une pédagogie qui permette d’y répondre. « L’épistémologie d’un praticien, si elle se base uniquement sur le savoir médical et la médecine factuelle, ne permet pas de tout comprendre du fonctionnement du corps humain, précise-t-il. L’incertitude médicale, c’est justement être conscient de ne pas tout savoir, tant du point de vue scientifique que sur le plan pratique et personnel ».
L’incertitude médicale ne disparait pas au fil des années de pratique
Une des pistes qu’il propose est d’enrichir l’épistémologie des praticiens. « Les problèmes de santé, de plus en plus complexes, requièrent de nouvelles solutions à connaître. Car si le sentiment initial de manque de compétence est légitime en début de carrière, on constate que l’incertitude ne disparaît pas malgré l’accumulation des connaissances en fin de cursus et même avec la pratique. »
La deuxième étape de sa recherche a consisté à traduire et adapter culturellement l’outil d’évaluation anglosaxon « Tolerance of Ambiguity in Medical Students and Doctors » qui vise à évaluer la tolérance de l’incertitude médicale. La version française produite a permis d’évaluer – selon une méthode mixte combinant exploration et validation qualitative et quantitative des résultats – une expérience pédagogique cohérente avec le modèle de compréhension de l’incertitude précédemment présenté.
Cela a valu à Baptiste Motte d’être récompensé par le « Prix International Pierre Pluye 2023-2024 en recherche en éducation en médecine familiale » de l’Université McGill de Montréal pour sa thèse de doctorat « Une pédagogie pragmatiste pour former les étudiants à l’incertitude médicale ».
« C’est lorsque l’incertitude est acceptée qu’elle devient féconde »
Un nouveau cursus de formation à l’incertitude proposé aux étudiants de 3ème cycle
Dans un premier temps, une formation d’une demi-journée, à destination des internes en troisième cycle de médecine générale, est proposée. Elle repose sur le partage des expériences personnelles, la richesse du collectif – des groupes de six à huit personnes par affinité – et la pratique réflexive.
A partir d’un cas vécu par un des participants, les étudiants co-construisent le diagnostic et les solutions possibles. « La dimension réflexive et collaborative démontre alors toute sa richesse. La formation leur offre un nouveau regard sur l’incertitude et c’est lorsque l’incertitude est acceptée qu’elle devient féconde » souligne Baptiste Motte.Les mesures quantitatives et qualitatives recueillies sous forme de questionnaires, en début et fin de module, en témoignent.
Intégrer progressivement les patients aux enseignements
Pour Baptiste Motte, l’enjeu de la formation des médecins généralistes est désormais de « mieux les préparer à l’incertitude en prenant du recul face au dogmatisme des données biomédicales, en enrichissant l’épistémologie des futurs praticiens et surtout en replaçant le médecin généraliste à la croisée du savoir médical, de la situation clinique et du patient ».
La médecine, rappelle-t-il, n’est pas une science appliquée mais repose sur des données scientifiques, du moins en partie. Revenir à l’art de la médecine, accompagné de la science et instrumenté par des moyens techniques : telle est sa proposition, qu’il souhaite mettre en œuvre notamment en intégrant progressivement les patients aux enseignements (témoignages, savoirs profanes, expertises patients, contributions pédagogiques…) et en développant la dimension pluri professionnelle, y compris dans la pédagogie.
« Replacer le médecin généraliste à la croisée du savoir médical, de la situation clinique et du patient ».
Ce serait une belle façon de réhumaniser et revitaliser la relation patient-médecin en voie de dématérialisation par l’e-santé ? « Je témoigne que l’incertitude, crainte par le médecin, peut en partie se résoudre par une relation de qualité et de confiance avec le patient », souligne Baptiste Motte, qui pratique au quotidien la transparence vis-à-vis de ses patients.
Une dynamique de co-construction de soin
« Nous devons recentrer notre démarche médicale dans une approche pragmatiste, plus détendue et plus horizontale, où l’anamnèse, les renseignements fournis au médecin, relèvent davantage du processus d’enquête et d’une dynamique de co-construction de soins, grâce aux échanges avec le patient, l’entourage et les professionnels de santé. »
Les premières sessions de formation répondent pleinement aux attentes des internes. Le vœu de Baptiste Motte est désormais d’introduire le module dès le début du cursus et de le proposer en formation continue pour maintenir une dynamique d’échanges entre pairs. La médecine par la preuve humaine ? C’est évident.
Propos recueillis par Lise Dominguez
Baptiste.motte@univ-catholille.fr
En savoir plus : https://fmer-remf.ca/une-pedagogie-pragmatiste-pour-former-les-etudiants-a-lincertitude-medicale/