Au croisement des sciences, à JUNIA IL CREE DES TECHNOLOGIES DE RUPTURE UTILISEES EN CANCEROLOGIE
Çagatay TARHAN semble, à 44 ans, avoir déjà vécu plusieurs vies, exploré plusieurs mondes. Formé en génie électrique et électronique à Middle East Technical University d’Ankara en Turquie, son pays d’origine, il poursuit ses études jusqu’au doctorat à l’Université de Tokyo, y travaille 6 ans pour ensuite rejoindre Lille en 2016 comme chercheur à JUNIA, à l’IEMN et ONCOLille.
Il multiplie les applications de la microélectronique, sa discipline d’origine, à la biologie, en créant des technologies de rupture, brevetées pour certaines, pour le diagnostic et la mesure d’impact des traitements en cancérologie.
Quel a été votre parcours de formation ?
Puis j’ai passé six années de recherche à l’Institut des sciences industrielles de l’Université de Tokyo, puis au LIMMS Laboratory for Integrated MicroMechatronic Systems, unité mixte de recherche internationale créée par le CNRS et l’Université de Tokyo. En 2016, j’ai intégré les équipes de recherche de Junia à Lille, au sein de ce qui est aujourd’hui l’équipe Digital System and Life Sciences, dirigée par Jérôme Follet. J’ai obtenu mon HDR en 2019 à l’Université de Lille.
Quels domaines de recherche avez-vous exploré lors de votre long séjour de 12 ans au Japon ?
Bien qu’ayant une formation en génie électrique, je travaille sur l’application des microtechnologies, tels que la microfluidique et les MEMS (Micro Electro Mechanical Systems), à la biologie et à la clinique.
Au début, j’utilisais des protéines de cellules, appelées protéines motrices, pour construire un système de nanotransport. Ensuite, je les ai utilisées pour mettre au point un système de détection de la protéine Tau, qui joue un rôle dans la structure des neurones et est un marqueur de la maladie d’Alzheimer. Mon premier brevet d’invention a porté sur ce moyen de détection.
“La détection de la protéine Tau, marqueur de l’Alzheimer”
Mes recherches au LIMMS, à l’Université de Tokyo, ont porté principalement sur le développement d’un système permettant d’analyser l’effet de différents stimulants sur l’ADN, tels que le pH, les ions, les médicaments et l’irradiation.
Nous avons mis au point et utilisé des nanopinces de quelques millièmes de mm, en silicium, pour capturer les brins d’ADN et surveiller les changements de propriété mécanique qu’ils induisent : rigidité, élasticité et souplesse des cellules. Ces nanopinces possèdent deux bras qui peuvent agir et capturer les brins d’ADN entre leurs extrémités pour les analyser en continu. Mon deuxième brevet a porté sur ce protocole de mesure.
A votre arrivée à Lille il y a 8 ans, vous poursuivez vos travaux au sein de JUNIA, de l’IEMN et du nouvel Institut de recherche ONCOLille ?
Je suis arrivé à Lille grâce à une bourse Talent octroyée par l’Etat.
J’ai développé mes recherches au sein de JUNIA, du groupe BioMEMS de l’IEMN tout en travaillant au développement des installations du laboratoire SMMiL-E, au sein de l’Institut de recherche ONCOLille créé en 2020 sur le site du CHRU.
J’ai adapté le système de mesure de l’ADN par la nano-pince à la capture et à l’analyse de cellules uniques. Mon objectif était d’analyser les propriétés mécaniques des cellules, car celles-ci peuvent refléter leur état de santé, par exemple le potentiel métastatique d’une cellule tumorale circulante.
« Prédire les propriétés métastatiques des cellules cancéreuses »
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec des mathématiciens pour mettre en œuvre des algorithmes d’intelligence artificielle afin de prédire les propriétés métastatiques des cellules cancéreuses sur la base de leurs propriétés biophysiques. Nos premières recherches sur des lignées cellulaires ont abouti à une précision de 95% pour distinguer les cellules cancéreuses de leurs homologues bénignes. Actuellement, nous collaborons avec le Centre Oscar Lambret, l’Université de Tokyo et l’Inserm pour appliquer notre système à des échantillons de patients atteints de cancer.
Vous avez déposé plusieurs brevets d’invention. Y a-t-il des perspectives pour qu’ils soient développés et appliqués ?
Je suis à l’origine de six brevets d’invention. Deux d’entre eux ont été développés pendant mes études au Japon et quatre après mon installation en France. Ces brevets portent sur des systèmes de mesure ou d’analyse au niveau moléculaire et cellulaire. Nous sommes également au cœur du développement d’une start-up, pré-incubée à EuraSanté.
Vos travaux font l’objet d’un programme de maturation de la SATT Nord, Société d’Accélération du Transfert de Technologie. En quoi consiste ce programme ?
Sur la base de deux des brevets d’invention, nous avons lancé un programme de maturation de la SATT Nord, qui vise à étudier les interactions cellule-cellule. Le suivi de la dynamique des interactions cellulaires est essentiel pour obtenir des informations pertinentes sur différents contextes pathologiques, tels que les cancers, les maladies génétiques, les réponses immunologiques et les infections bactériennes.
Cancers, maladies génétiques, réponses immunologiques, infections bactériennes »
Pour surveiller cette interaction, nous devons mettre en contact deux cellules différentes, et ce pour de nombreuses paires de cellules en parallèle. Cependant, les méthodes fournissant un grand nombre de paires de cellules avec une bonne résolution temporelle et spatiale présentent plusieurs limites. Par exemple, elles ne conviennent pas aux cellules de différentes dimensions et sont incapables d’accéder à chaque type de cellule individuellement pour une activation spécifique ou un test de médicament.
Notre projet en maturation fournit une méthode polyvalente pour former des assemblages de cellules, par exemple des doublets, des triplets, des cellules de dimensions similaires ou différentes, afin de capturer, analyser et récupérer ces cellules.
Vous êtes aussi engagé dans un programme de prématuration du CNRS, sur l’évaluation du potentiel métastatique des cellules cancéreuses. Quels sont ses objectifs ?
Trois des autres brevets concernent la détection des cellules cancéreuses et de leur potentiel métastatique. Les cellules cancéreuses sont très hétérogènes, de sorte que nous devons analyser chacune d’entre elles séparément. En outre, elles peuvent présenter une grande similitude au niveau de certaines de leurs propriétés biophysiques. Par conséquent, l’étude d’une seule cellule exige des analyses multiparamétriques d’un grand nombre de cellules, ce qui produit une quantité massive de données.
“L’analyse de 100 cellules par seconde”
Dans notre recherche, nous effectuons une caractérisation électrique et mécanique des cellules dans un flux continu, fournissant des signatures biophysiques de chaque cellule : taille, capacité de la membrane, résistance du cytoplasme, rigidité et viscosité. Nous visons l’analyse de 100 cellules par seconde. La possibilité d’automatisation des microtechnologies offre la praticité requise pour une utilisation médicale et biologique de routine. Nous avons terminé le programme de pré-maturation du CNRS et nous étudions maintenant les possibilités de maturation
L’équipe Digital Systems and Life Sciences de JUNIA
Cette équipe se consacre au renforcement des technologies de la santé et du bien vivre, applicables à la santé humaine et à la santé animale, autour de deux axes :
Le développement de microsystèmes
L’Intelligence Artificielle pour l’analyse d’image.
Elle est constituée, sous la direction de Jérôme Follet, de 4 chercheurs permanents, 2 doctorants et 2 post-doctorants.
Propos recueillis par Francis DEPLANCKE