Maître de Conférences en psychologie à la Faculté des lettres et sciences humaines à l’Université catholique de Lille, auteur de recherches sur la perception sociale et le jugement social, Catherine Denève a rejoint l’équipe Ensembll, à l’ouverture du Lab Moulins à Lille. Sa première mission, menée avec la Maison des Aidants de Féron-Vrau : le projet Supairaidant, qui vise à imaginer et expérimenter un accompagnement de pair à pair pour les aidants, dans une démarche de « faire ensemble ».

Vous êtes spécialiste en psychologie sociale. En quoi cette discipline est-elle différente de la psychologie individuelle ?

La psychologie sociale tente de démontrer que l’environnement et le contexte dans lequel on se trouve peuvent venir influencer comportement, pensée, jugement et émotions. La psychologie sociale étudie donc l’impact de l’environnement sur un sujet ou un groupe d’individus.

Depuis 2019, vous êtes ingénieure de recherche dans l’équipe Ensembll, au Lab Moulins Lille, qui s’intéresse avant tout au « bien vieillir ensemble ». Supairaidant est-il représentatif des projets collectifs d’innovation sociétale que porte ENSEMBLL ?

Oui, en effet. Rappelons que le point de départ du Lab Moulins est une collaboration étroite entre la Maison des Aidants, la plateforme de répit de Lille portée par Féron-Vrau, et l’équipe dans laquelle je me trouve, dirigée par Stéphane Soyez.

Ayant dans notre environnement des écoles, facs, hôpitaux et structures médico-sociales, nous nous sommes demandé comment mieux travailler ensemble, sur des projets en lien avec les besoins du terrain.

La directrice de la Maison des Aidants a souligné qu’elle rencontre beaucoup d’aidants, qui ont besoin de ne plus être isolés et d’échanger avec des personnes vivant des choses sensiblement identiques à leur propre vécu.

L’idée de pair-aidance est née de ce constat.

Des gens passés par la Maison des Aidants, qui ont acquis certaines compétences, avaient envie de pouvoir les transmettre. Ils ont donc écrit un projet à trois mains, de façon à décrocher un certain nombre de financements, obtenus du Département du Nord.

Le projet Supairaidant est né dans ce contexte et j’ai été missionnée pour mener à bien ce projet.

Les aidants proches sont-ils indispensables au système de prise en charge actuel ?

Aujourd’hui en France, la présence des aidants est en effet incontournable et indispensable car, sans eux, le système ne pourrait pas tenir.

Ils sont extrêmement sollicités, présents 7 jours sur 7 et 365 jours par an auprès de leurs proches.

Cet accompagnement des aidants est un enjeu de santé publique parce que, s’ils ne sont pas, eux-mêmes, soutenus et écoutés dans ce qu’ils vivent, ça va poser de gros problèmes. Ce sera plus vrai encore dans les années à venir en raison du vieillissement de la population et de la diminution de la démographie médicale.

Quelle est l’idée de départ du projet Supairaidant ? Va-t-il plus loin que les plateformes de répit ?

Ce projet souhaite être un service supplémentaire possible de la plateforme de répit mais toujours intégré à elle. Dans cette dernière, les aidants trouvent un soutien psychologique, individuel ou en groupe, ainsi qu’une série d’activités collectives. Mais aujourd’hui, l’idée est de leur proposer une nouvelle forme d’accompagnement et de leur permettre de rencontrer des gens qui ont déjà vécu cette situation d’aidance.

Peut-on dire que ces pairs-aidants sont des aidants qui aident les aidants ?

Oui, c’est cela. Mais il s’agit d’aidants qui l’ont été et ne le sont plus aujourd’hui car la personne qu’ils accompagnaient est décédée. Ceci étant, ils ont encore des choses à dire et à transmettre. « Aidant un jour, aidant toujours », comme ils disent…

Concrètement, la pair-aidance, c’est quoi ? S’agit-il uniquement d’écoute ?

Il y a en effet une part d’écoute parce que ces pairs-aidants animent un groupe, en binôme avec un professionnel de l’écoute. Dans ce groupe, on vient parler d’une situation inconfortable que l’aidant a vécue dernièrement.

Le pair-aidant a donc ce rôle d’écoute, comme les autres autour de la table, mais aussi un rôle de cadrage. Il encourage les aidants à structurer leur pensée, favorise les échanges et apporte un éclairage à travers son témoignage, son vécu et son expérience personnelle.

On va donc former les pairs-aidants à l’écoute active mais également à une méthode d’analyse de pratique, qu’on appelle le co-développement, ainsi qu’à ce témoignage qui vient éclairer la situation de l’autre.

Imaginer un accompagnement de pair à pair, dans une démarche collaborative, est-ce vraiment novateur ?

En effet, il s’agit d’un projet participatif, dans la mesure où les pairs-aidants, qui travaillent avec nous, montent aussi le projet avec nous. Ils sont dans les comités de pilotage, nous indiquent leurs besoins et donnent un avis sur le projet pour pouvoir le mener. Ils sont autant avec nous dans l’animation des groupes qu’à un niveau plus stratégique, sur l’élaboration active du projet. Et ça, c’est très novateur.

Ce projet expérimental est-il appelé à essaimer ?

Le financement que nous avons reçu du Département du Nord permet de massifier le projet, en recrutant de nouveaux aidants et pairs-aidants, mais aussi de mettre en place une sorte de kit méthodologique. Il s’agit de concevoir une sorte de petite mallette dans laquelle on trouverait des conseils pour recruter des pairs-aidants, les former et, quand on fait du co-développement, pour faire cette animation de groupe.

D’autres plateformes de répit de la région pourraient s’en inspirer pour mettre en place des expériences de pair-aidance, tout en s’adaptant à la personnalité des uns et des autres.

Propos recueillis par Anne Tomczak

Lucile VERVUST

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