Enseignant chercheur en économie à l’Université de Lille, à l’IESEG et à Lille Economie et Management, Jean-Philippe Boussemart a fait de l’analyse de la performance et de la productivité son thème de prédilection. Il se place au cœur des enjeux et des grands débats de notre époque : émissions de CO2 et environnement, agriculture raisonnée, coût de l’alimentation et pouvoir d’achat, évolution industrielle.

« Au lycée, j’aimais davantage les maths que la physique-chimie, se souvient Jean-Philippe Boussemart. Mon bac en poche, j’ai intégré l’IESEG, école d’économie et de gestion réputée pour sa forte orientation maths appliquées, méthodes quantitatives et statistiques ». Il suit en parallèle des études en Faculté de sciences économiques de la Catho, qu’il poursuivra en DEA puis en doctorat à l’Université Panthéon Sorbonne. Sa thèse porte sur l’analyse de la productivité en agriculture. Quelques années plus tard suivront l’Habilitation à diriger les recherches et l’Agrégation du supérieur en sciences économiques.

Il commence son parcours d’enseignant-chercheur, il y a plus de trente ans, comme Maitre de conférences à l’Université Charles Gaulle à Lille, puis comme Professeur à l’Université de La Réunion, à l’Université de Lille et à l’IESEG.

L’endettement des exploitations agricoles

Dès 1981, il fait ses premiers pas dans le monde de la recherche, au Centre d’études des revenus et des coûts, le CERC à Paris. Puis au Centre de recherche en économie agricole, le CREA à Lille, au sein du LABORES, unité de recherche associant la Catho et le CNRS. Et à Lille Economie et Management, laboratoire CNRS de l’IESEG et de l’Université de Lille.

Les premiers travaux de recherche concernent les structures agricoles de la région Nord-Pas-de-Calais et précisément l’endettement des agriculteurs. « Les décisions d’investissement étaient davantage conditionnées par le montant de la trésorerie et des liquidités que par le niveau des prix du capital. Pour moderniser l’agriculture, il fallait mettre en place des politiques qui soulagent la trésorerie et qui ne se focalisent pas seulement sur les mouvements de prix à moyen et long terme ».

« L’analyse des comptes de surplus, un outil très opérationnel »

Voici donc Jean-Philippe Boussemart engagé dans un champ de recherche qui va lui permettre de publier plus de 60 articles dans des revues à comité de lecture. Il s’agit de l’analyse de la performance, de l’efficacité et de la productivité dans les entreprises, les banques, les hôpitaux, voire au niveau des secteurs économiques et des pays.

Une méthode au cœur de la RSE des entreprises

Notre chercheur s’appuie en particulier sur la méthode de l’analyse des comptes de surplus, outil de gestion très opérationnel pour mesurer les gains de productivité globale et qui prend en compte l’ensemble des dimensions de l’entreprise : politique commerciale, politique des prix, gestion salariale, des approvisionnements, des investissements… Alors que l’on avait tendance à se focaliser sur le processus de génération des gains de productivité, on se souciait peu de l’analyse de leur répartition entre les parties prenantes de l’entreprise.

« Cette méthode devrait être au centre de la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises, estime Jean-Philippe Boussemart. Elle a l’avantage d’éclairer l’entreprise et ses partenaires pour mieux comprendre à qui vont les gains de productivité : aux actionnaires, aux salariés, aux clients, aux fournisseurs, à l’Etat ? ».

A qui profitent les gains de productivité de notre agriculture ?

Ces travaux ont des applications dans de nombreux domaines. C’est le cas de la compétitivité et des revenus de l’agriculture française

« Il faut y travailler sur le terrain, dans les champs et à la ferme, dans les élevages » précise notre chercheur, qui a réalisé des diagnostics de performance de l’ensemble de l’agriculture française et de ses voisins. Mais aussi d’élevages de bovins charolais et d’élevages laitiers à La Réunion. « Si des gains de productivité importants ont été réalisés ces derniers temps, on constate qu’ils sont répartis davantage en aval, c’est-à-dire à la grande distribution, à l’industrie agroalimentaire et dans une moindre mesure aux consommateurs. Finalement les agriculteurs en profitent très peu ».

Réduire l’usage des pesticides de 30 à 40%, c’est possible

Autres travaux de recherche : comment réduire l’usage des pesticides tout en gardant le rendement et la compétitivité de notre agriculture ? Plusieurs contrats de recherche ANR se sont attelés à cette question.

Pour Jean-Philippe Boussemart, « on peut utiliser moins de pesticides, sans détériorer le rendement, grâce à de bonnes pratiques : épandage au lever du jour avec des buses à gouttelettes fines, dilution des produits, usage du GPS pour piloter les machines… ». Dans la grande culture de la Beauce, de la Meuse et du Nord-Pas-de-Calais, on pourrait diminuer ainsi de 30 à 40% l’usage des pesticides sans réduire significativement les rendements.

« Des pratiques agricoles vertueuses »

La performance est encore meilleure quand on réalise des rotations des cultures plus longues, en plantant des légumineuses qui ont l’avantage de fixer l’azote dans le sol et donc de demander moins d’engrais et de pesticides. Ces pratiques agricoles vertueuses permettraient de réduire d’environ 16% les coûts de production.

Quel est l’impact de ces évolutions sur le revenu des agriculteurs ? « Depuis les années 1990, les revenus des agriculteurs ont décroché par rapport au revenu moyen des salariés français. Malgré le fait que la productivité du travail en agriculture a augmenté de 4% par an, comparée à celle de l’économie française (PIB/ actif) qui s’établit à 1,8% par an de 1960 à 2020. Mais on commence à voir des rattrapages depuis 2010, grâce à une remontée des prix des produits agricoles » précise Jean-Philippe Boussemart.

Emissions de CO2 : la France plutôt bonne élève 

La mesure de la performance concerne aussi les enjeux environnementaux. Une publication du LEM et de l’IESEG est en cours de finalisation à ce sujet.

« Nous avons étudié la diminution potentielle des émissions de CO2 dans différents pays, précise notre chercheur, en jouant sur plusieurs leviers : la réduction des gaspillages d’énergie et la sobriété, l’efficacité énergétique, le mix énergétique avec plus de renouvelables et de nucléaire. Les pays les plus vertueux sont soit des pays développés, comme ceux d’Europe du Nord (hydroélectricité, géothermie…). Soit des pays en développement, du fait d’un plus faible niveau de vie et donc de pollution par habitant, comme l’Inde, ou du fait de conditions particulières comme le Brésil utilise massivement l’éthanol. La Chine, les USA, l’Afrique du Sud et la Russie sont les mauvais élèves. La France est plutôt bien classée grâce à son parc nucléaire ».

« Des recherches utiles pour aider à la décision »

S’il fallait résumer les quelque quarante années de recherches réalisées par Jean-Philippe Boussemart et ses équipes, on peut constater que ses travaux, qui recourent à des modèles mathématiques et à l’économétrie, qui demandent des investigations et des traitements statistiques complexes, visent toujours à leur application concrète sur le terrain, pour aider à la décision notamment.

L’Académie de l’Agriculture de France ne s’est pas trompée quand elle l’a nommé, en 2018, membre correspondant de l’Académie.

Propos recueillis par Francis Deplancke

Lucile VERVUST

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